vendredi 26 octobre 2012

Chambre 423

Chambre 423, un autre regard.

Bientôt 3 mois qu'il a fermé les yeux pour une nouvelle aventure. Et je me dis que ce laps de temps correspond à la période d'hospitalisation (en structure et à la maison). La balance s'équilibre, et peut être que ce laps de temps est nécessaire pour écrire, poser le vécu, l'évacuer sans pour autant l'assimiller à un déchet que l'on souhaite soustraire au regard en tirer une chasse d'eau. Un peu comme un accouchement après 3 mois de travail.

Chambre 423, un simple numéro pour certains, quasi deux mois de souvenirs pour moi.

Je ne sais pas par quel bout prendre ce billet, ni dans quel ordre. Il me faut du temps pour remettre un peu d'ordre dans mes souvenirs, dans la chronologie.

Pour moi, et c'est ma vision toute personnelle et subjective, le début de cet épilogue démarre avec la pose de la gpe, tant attendue après des semaines à être promené à droite à gauche.
Enfin, un choix clair, une information à peu près claire sur les risques, les buts visés, ce que ça permettrait.
L'opération se déroule bien, il a le sourire, une lueur d'espoir et d'optimisme, non pas sur l'échéance à venir, mais sur le temps restant à profiter de la vie, de la famille, des amis.
Quelques heures à attendre pour mettre en place l'alimentation via la gpe. D'abord tester avec de l'eau, pour vérifier l'efficacité avant d'y mettre du nutritif, si ma mémoire ne me joue pas de tour.
Cela se déroule sur une nuit, nous sommes confiants, optimistes.
Le matin, je décide de venir seul, de bonne heure, pour voir comment ça s'est déroulé.
Rejet. Un simple mot, mais qui en dit long. L'estomac n'a pas vraiment supporté l'intronisation d'un « aliment » après tant de mois de diète forcée. Le padré a vomit, à plusieurs reprises. De l'incompréhension pour lui, et un terrible constat amer pour moi qui me confirme un pressenti déjà en place avant la pose de la gpe, à savoir que c'est peut être « trop » tard.
Il ne souhaite pas être vu par sa fille, ni par sa femme. La peur de choquer ou de briser l'espoir.
Mais elles viennent quand même, après qu'il ai pu être lavé pour reprendre un peu de « fraîcheur » et de contenance.
La journée est longue à s'écouler, d'autant plus qu'il n'a plus d'alimentation en place. Il est sur des réserves inexistantes, depuis bien trop longtemps épuisées.
Je prend une décision, qui a le don de l'irriter en apparence, mais dont je sais qu'il en est reconnaissant au fond de lui. Je demande aux filles du service de mettre en place un lit de camp afin que je puisse être présent la nuit à venir, lors du nouveau test. Cela me permettra d'être là, d'être attentif, et aussi d'être en relais pour prévenir l'équipe de nuit en cas de soucis.
Quelques vidéos chargées sur le portable, et la promesse de tenir informée ma compagne et babeth par textos ou par appel si besoin. Nous nous doutons tous que la nuit ne va pas être simple.
Effectivement, elle ne l'est pas. De nouveau rejet, mais ça empire au niveau des conséquences. Dans ce qu 'il recrache par voie orale, une partie se dirige dans les poumons qui commencent à se remplir. Dur de le voir s'affaiblir plus qu'il ne l'est déjà, de le voir chercher de l'air, de le voir avec le souffle court. Je me doute bien qu'il sait ce qui se prépare. Nous ne sommes pas dupes. Plusieurs fois dans la nuit il vomit, et ses poumons se remplissent inexorablement. Pas possible de l'aspirer apparemment...mais une promesse du staff de voir l'équipe anti douleur au plus tôt le matin.
Le matin justement, avec du soutient de la famille présente, du relais. Je vais souffler un peu, et laisser la place à ma sœur et à ma belle mère pour qu'elles puissent toutes deux être là, saisir ces derniers instants. Nous n'avons pas d'échéance donnée par un toubib, mais nous savons que ça approche.
Je fais des aller retour, entre la chambre 423, la cafét, et une douche nécessaire. A chaque fois que je monte dans la matinée pour le voir, j'entre dans la chambre et en ressort aussitôt car je le vois accompagné, sa fille à ses côtés, ou sa compagne.
Cela se dégrade.
Le staff anti douleur est là, tout comme son hypercapnie. Nous avons déjà tous discutés des possibilités légales « offertes », afin qu'il ne souffre pas, et surtout qu'il n'ait plus cette sensation d'étouffer. Nous savons ce que ça implique, et lui le savait aussi. Un jour, max deux...mais pas une dizaine d'heures...
L'après midi est plus paisible. Après la sédation, c'est des temps de silence, d'accompagnement...de soutient tant que peut se faire.
Le soir approche, et une nouvelle décision est prise. Cette nuit du 30 juillet, babeth et moi sommes à ses côtés, en espérant passer la nuit tout les 3.
Un peu de fond sonore, c'est la natation, une nouvelle victoire tricolore sur fond de marseillaise. Babeth et moi discutons, la vie continue...et lui choisit de s'en aller tranquillement, peut être en paix avec le fait de voir (ou d'entendre) que nous sommes dans le présent. Un peu comme s'il avait senti que c'était le bon moment pour lui, pour nous.

(la suite, plus tard, mais pas dans 3 mois)